Texte · Trois minutes

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Le

— Papa !

 J’entends ma fille, si lointaine, ma petite fille…

— Papa ! Pourquoi tu t’en vas ?

 Une violente secousse me ramène sur Terre. Je sens mon ventre flotter, je l’avais oublié, celui-là. Tiens… Des sièges… ronds et rouges… C’est bizarre. J’ai une sensation horrible dans la tête, comme si on m’avait donné un énorme coup de poing, ce n’est vraiment pas drôle. Je suis tout seul dans un wagon en marche. Les lumières clignotent, pour le peu d’entre elles qui fonctionnent.

 Encore une secousse.

 Je pousse un « Wow » depuis les tréfonds de mes cordes vocales et je m’accroche où je peux, sur les accoudoirs. Bon, il va peut-être falloir que je sorte de là. Je n’ai jamais aimé me creuser la tête sur quoi que ce soit, mais je pense que c’est trop réel pour que ce soit un rêve, à moins que mon esprit…

— Il ne te reste plus que 3 minutes avant que tout explose, grisonne le haut-parleur du wagon, tic tac tic tac…

 Cette voix. C’est elle. Dans ma tête ? Non.

 Je dois sortir de là au plus vite. Aller, je m’accroche et je me lève avec difficulté. C’est comme si j’étais resté assis pendant des années. Je ne sens plus mon postérieur et mes cuisses me font un mal de chien. Ce n’est pas le moment d’y penser. Je fonce. J’esquive le siège à côté de moi et finis dans le couloir. La première porte est verrouillée, bien sûr. Demi-tour. L’autre porte. Vite. Verrouillée. Bien sûr.

 Allons casser des vitres.

 Je choisis une porte. Je frappe comme un idiot. Je saigne un peu des phalanges, j’ai vraiment tout gagné. Ma fille, une image de moi en train de la pousser dans sa balançoire me vient tout d’un coup. Qu’est-ce que j’ai fait ? Je… Je ne me souviens plus de rien. Je… suis…

 Le marteau rouge en plastique ne sert à rien contre ces maudites vitres ! Pourquoi est-ce que je tente de m’enfuir par là ? Je regarde de l’autre côté. Un immense fossé. Sauter ici serait signer mon arrêt de mort. Tiens bon ma chérie, papa est là. Qu’est-ce que je raconte ? Je commence à perdre l’esprit. C’est elle qui m’a envoyé dans ce train et qui va tout faire exploser ! Mon cerveau est si lent… L’autre côté me paraît une meilleure issue, hors de question de grimper sur le toit, je n’en suis physiquement pas capable.

 Je perds la tête. J’envoie mon corps tout entier taper dans ce carreau qui explose en mille morceaux à mon passage.

 Un ralenti.

 Les éclats de verre volent… Tout doucement…

 Je la revois, ma fille, que j’ai abandonnée. Je me souviens pourquoi je suis parti, et ma fille veut me tuer, j’ai plongé, la tête vers le ciel, je la vois depuis le toit, juste au-dessus de moi, elle est là, je la hais et pourtant, son visage est nostalgique, comme si une illumination lui était venue. Je crois que c’est moi, au final, qui ai commis une erreur.

 Le temps reprend son cours. Je suis propulsé dans les arbres. Je n’ai pas le temps de regarder le train s’en aller à toute vitesse qu’il explose, à seulement une trentaine de mètres de moi.

— Mon Emma !

 C’est trop tard. L’instant d’avant, sa rage s’est envolée en me voyant. Maintenant, c’est ma Emma qui s’est envolée. Ma fille a disparu.

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« Chacun a raison de son propre point de vue, mais il n’est pas impossible que tout le monde ait tort. »
– Gandhi.

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