Texte · Tout ce que je pense de vous

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Un titre accrocheur, n’est-ce pas, pauvres petits bouffeurs de ragots que vous êtes. Je n’imaginais pas m’adresser à vos âmes fébriles il n’y a pas si longtemps. J’entends déjà vos pleurs pour moi qui suis parti trop tôt, digne des plus grands. Vous êtes tous bien mignons sous votre parapluie, le nez plongé à mon égard. Je serai bien triste quand le jour viendra, surtout que je ne pourrai pas voir vos expressions dont je me serais aisément délecté. Enfin, c’est la vie, ou plutôt la mort !

 Je vais commencer par ceux que je ne vois même pas, mes collègues, de ravissantes têtes de vainqueurs qu’ils ont tous. Je pense qu’ils n’entendront jamais ceci, étant donné qu’ils ne viendront pas à mon enterrement. Si j’écris moi-même mon éloge, c’est bien parce qu’il n’y a personne de ma connaissance qui puisse en rédiger un aussi sincère et profond que moi, c’est la raison pour laquelle je ne prendrai pas en compte vos petites remarques. Qu’avez-vous dit, mes chers collègues au loin depuis votre bureau alors qu’un des vôtres n’est plus là ? Je ne vous entends pas, parlez plus fort, ou hissez-vous sur la pointe de vos pieds, que je puisse faire attention à ne pas vous marcher dessus ! C’est de bonté de cœur que je vous dis tout cela, dites-vous bien que c’est pour ma satisfaction personnelle.

 Mes voisins, quels déconneurs ceux-là. Toujours à m’épier le soir quand je regardais tranquillement mes émissions favorites sur mon ravissant poste de télévision qu’ils ne pourront jamais se payer. Je pense que vous serez à mon enterrement, après tout, se connaître aussi bien sans jamais s’être parlé est ce que l’on peut appeler une relation exceptionnelle, vous n’êtes pas d’accord avec moi ? Quelle charmante famille, dommage que vos enfants ne jouent pas très souvent dans le jardin.

 Mes amis. Enfin. Mes amis. Mes pseudo amis, comme les gens de votre espèce aiment ce mot. Je ne sais même pas si de vrais amis existent. Je pense que oui, chez les pauvres à la limite. Quand je dis amis je parle de ceux qui m’ont vu grandir à l’école, plutôt mes camarades dans ce cas. C’est quand même dommage que nous nous soyons tous perdus de vue au fil des années, sans doute que puisque nous changeons entre l’enfance et l’adulte, nous étions compatibles dans le premier temps, mais pas dans le second. Je ne m’en plaindrai pas, ç’auraient été de belles années, je suppose.

 Ma famille. Enfin. Ma famille. Si je peux parler de famille. Vous, vous serez là c’est sûr, je parie qu’il y aura tout le monde, du moins tous ceux qui vivent encore. Un de perdu, un des plus brillants, c’est bien triste pour vous, pour moi aussi à vrai dire. J’ai beau détester ce monde, ça m’embête un peu de mourir, il y a encore tout un tas de choses que j’aurais aimé faire. Si j’avais su plus tôt que j’allais mourir, j’aurais fait beaucoup de bêtises… n’est-ce pas, Jeanne ? Désolé d’avance, Maxime, mais tu sais bien que notre guerre ne s’arrêtera jamais, que ce soit sur Terre ou dans les cieux.

 Moi. Enfin. Moi. Voici tout ce que je pense de vous, et maintenant, voici les dernières lignes de mon éloge à moi-même.

 Aujourd’hui, vous auriez aimé qu’il n’y ait pas d’aujourd’hui, parce que votre naïveté bat son plein, encore et toujours, à l’heure où vous observez le cercueil me contenant s’enfoncer dans la terre humide et sale parce que je sais qu’il pleut. Quand quelqu’un comme moi s’en va, il pleut toujours, car le ciel est aussi en deuil. Vous continuerez de croire que je vous aimais, et même après avoir écouté la lecture de ce texte, vous continuerez à m’aimer, par respect envers les morts.

 J’entends déjà les cloches sonner, je vois les pétales de fleur se mêler au vent autour de ma tombe, et je sens la présence de Jeanne, qui s’en ira la dernière, longtemps après la fin de la cérémonie, car oui, Maxime, je sais que c’est moi qu’elle préfère.

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« Chacun a raison de son propre point de vue, mais il n’est pas impossible que tout le monde ait tort. »
– Gandhi.

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