Texte · Un voyage en train

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D’habitude, j’aime bien inventer la vie des gens que je croise dans le train, en tant que spectatrice, ils ne sauront jamais que j’existe, et je vais très vite les oublier. Seulement, et c’est la raison pour laquelle je suis embêtée, il n’y a personne à observer dans mon wagon en cette matinée.

 J’ai jeté un bref regard au wagon qui précède et à celui qui suit le mien. Il n’y avait qu’une jeune fille sur son téléphone à la coque verte. Le train que je prends est plus long que les autres, parce qu’il s’arrête à presque toutes les gares. J’ai beaucoup de mal à écrire car je suis secouée de toute part, en temps normal, je ne l’aurais pas remarqué, mais justement, aujourd’hui, j’ai décidé d’écrire, pas forcément un texte complet dans lequel je me lancerais sans m’arrêter, au moins noter idées et informations sur mon carnet au sujet de ce qui sera peut-être un jour un roman, ou un scénario.

 Le premier arrêt est celui que je connais le mieux car il m’arrive parfois d’y être. C’est un tout petit bâtiment en brique abandonné qui fait office de gare. Un jour, une porte ouverte m’a intriguée. À l’intérieur, il n’y avait que des plaquettes et beaucoup de poussière. Nous repartons déjà, c’est que le temps passe vite quand on se trouve une occupation. Un train vient de nous croiser. Je suis dans un des derniers modèles qui couvrent davantage les bruits extérieurs. Si j’étais dans un de ceux que je prenais quand j’allais au lycée, j’aurait fait un bond sur mon siège, surprise par l’étonnante vitesse du voisin. Toujours aucune voix dans ce wagon trop lumineux à mon goût. C’est la nuit que les lumières me dérangent le plus. Elles m’éblouissent alors qu’elles devraient m’adoucir. Je commence à délaisser mes notes en pensant à tout ça tandis que le train ralentit pour le deuxième arrêt.

 Il n’y a pas de gare à proprement parler, simplement comme une grande maison, elle aussi abandonnée. J’ai entendu quelqu’un monter mais je n’ai vu personne passer à côté de moi. Par contre, ce quelqu’un renifle à plusieurs reprises à quelques bons mètres de moi. C’est vrai qu’il fait bien froid ce matin, pour une fin d’été. L’heure de la rentrée des classes ne va pas tarder à sonner, mais je n’y serai plus. Je jette un coup d’œil au paysage qui défile. Des champs le composent en majorité, cinq vaches au loin que j’ai tout juste eu le temps d’apercevoir, des bois un peu partout, tous espacés à cause des champs, et devant tout ceci, des rails de chemin de fer. Une usine d’antan m’indique la station suivante.

 Deux hommes entrent par la porte de mon wagon. L’un s’installe à la rangée devant moi, l’autre muni d’un bermuda et d’un masque bleu marine est passé à côté de moi en me dévisageant. Deux jeunes, un garçon et une fille, dont je n’ai pu voir que les cheveux par la fente entre deux sièges, sont entrés au dernier moment. Alors qu’ils partaient dans la direction opposée à la mienne, les voilà qui font demi-tour et empruntent le même chemin que l’homme qui m’a étrangement fixée. Ils ont tous les deux un sac d’école, mais n’ont pas de masque, pourtant ce n’est pas encore la rentrée scolaire. Peut-être s’entraînent-ils à récupérer leur rythme quotidien, de peur d’être complètement perdus tant le jour où ils sont allés à l’école pour la dernière fois leur parait lointain. Le temps d’y réfléchir, le train est déjà reparti, et atteint un autre arrêt.

 Cette fois, on oublie quelconque bâtiment, délaissé ou non, pour ne laisser place qu’à un semblant d’arrêt de bus et du goudron envahi de plantes. Un garçon d’une quinzaine d’années à vue d’œil à l’imperméable orange surgit de nulle part pour traverser le wagon entier. Tiens, quelques secondes à peine après, il a fait demi-tour. Qu’est-ce qu’ils ont tous à faire des allers-retours alors que quasiment tous les sièges sont vides ? C’est possible que le wagon soit bondé finalement, et que je sois la seule à ne pas le voir, ou alors, personne n’a envie de s’asseoir, ou alors ils ont si peur du virus qu’ils veulent se tenir à dix mètres des inconnus. Les restrictions d’un siège sur deux sont inutiles, avant l’épidémie, les gens s’installaient seuls sur deux rangées de deux sièges qui se font face, dès que cela était possible.

 Une autre gare. L’annonce s’est faite après l’arrêt du train, plutôt amusant. Enfin, nous sommes au cœur d’une petite ville, c’est que nous approchons de la destination finale, bien que les champs résistent encore. C’est fou comme nous passons notre vie à penser, cette petite voix dans notre tête qui ne s’arrête jamais. Si nous ne connaissions aucune langue, comment penserions-nous ? Certainement beaucoup plus vite et plus clairement.

 L’arrêt précédent le dernier, enfin une vraie gare, mais déserte. Le parking de voitures est pourtant rempli, sans doute que j’ai pris un train un peu tardif. Au moins, je n’entends rien d’autre que le bip des portes qui se referment, alors que personne n’est monté. Beaucoup de briques, en tout les cas. Je repars, pour la dernière fois, quand le train achèvera sa course, je descendrai. Tandis que j’observe vaguement le monde d’à côté, je pense au peu de gens que j’ai vu, ce matin, des gens que je vais oublier plus vite que je ne le crois. Le train, appelé dans ma langue le tube électrique, ne cesse de changer de voie, pourtant, il secoue moins qu’à mon départ, étonnant. Une journée simple m’attend. Si je le pouvais, j’écrirais tout ce que je vois, sens, écoute, goûte, sans jamais m’arrêter, mais heureusement que je ne le peux pas, autrement ma vie n’en serait pas vraiment une.

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« Chacun a raison de son propre point de vue, mais il n’est pas impossible que tout le monde ait tort. »
– Gandhi.

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