Texte · Agathe

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Elle était assise sur son fauteuil de cuir, sereine elle regardait la porte de bois sculpté, elle n’attendait qu’une chose… Le tic-tac du pendule terrifiait le parquet qui tremblait sous ses pieds. L’obscurité dominait l’intérieur, et la porte grinçait à cause du vent. Ses mains étaient frigorifiées, elle n’avait pas voulu faire de feu. Son fauteuil de cuir froid, abîmé par le temps, l’accueillait depuis déjà des heures, et la luxueuse porte restait fermée. Prête à attendre autant de temps que son ventre lui permettait, Agathe soupira calmement, voulut se réconforter en pensant que la porte s’ouvrirait bientôt, et c’est ce qui arriva.

Un violent claquement contre le mur dont le papier-peint de roses se déchira. Le pendule accéléra la cadence, accompagné en rythme par ce tic-tac qui rendrait fou n’importe qui. La boîte à musique décorée par une ballerine sous cloche, posée à côté d’Agathe sur la table basse en bois de chêne, vacilla et éclata en mille morceaux sur le parquet qui n’en finissait pas de frissonner. C’était le vent qui avait fouetté la porte, ainsi tous les espoirs de la jeune dame s’envolèrent, comme on soufflerait sur un pissenlit. Ses longs cheveux gras se laissaient lentement emporter par la frayeur du parquet, et elle se résigna à se lever pour refermer la porte. Ayant de graves problèmes de mobilité, elle prit appui sur les accoudoirs du fauteuil et poussa presque un gémissement pour parvenir à ses fins. Son dos lui lança des piques comme des aiguilles qu’on aurait oublié de retirer de sa colonne vertébrale. Le vent tambourinait les carreaux de la fenêtre, tout près du fauteuil. Le paysage était voilé par de fins rideaux blancs en dentelle. Agathe, pieds nus, parvint à esquiver les éclats de verre de la boîte à musique. Songeuse. Elle aurait aimé l’écouter encore un peu. Les tambours interprétés par les carreaux lui donnaient des maux de tête.

La dame s’appuya sur tous les meubles qui la séparaient de l’entrée : commode aux tiroirs vides, pied de lampe à l’ampoule cassée, pot de fleurs géant et des tas de cartons remplis de vieux livres. Malgré son tempérament, Agathe ne put s’empêcher de transpirer. Ses pas s’enchaînaient timidement. Son désir le plus cher, elle le regardait s’éloigner tel un papillon tandis qu’elle bifurquait vers l’entrée. Ce qu’elle vit lui fit glacer son sang. Les yeux écarquillés, Agathe ne tenait plus son dos, ses bras étaient incapables de bouger. La chose qu’elle vit à son paillasson, le plus ardent de ses désirs, ce cauchemar qui l’attirait contre lui. Il était là.

Sa silhouette. Macabre. De la fumée s’évaporait de sa chair qu’elle ne pouvait qu’imaginer. Le vent le poussait dans sa direction. Il tenait quelque chose dans son dos. D’un geste le plus lent et le plus tendre du monde, il emboîta le pas, franchit la ligne invisible entre le monde extérieur et le monde d’Agathe, froid et sinistre dont les seuls signes de vie étaient les livres poussiéreux, ses trésors possédés. Pétrifiée, elle aurait voulu s’échapper. Ecrasée par le regret, la silhouette brandit d’un geste vengeur la dernière chose qu’elle toucherait : une dague lisse, déjà ensanglantée. Son bras entoura sa taille, l’attirant contre son corps bien réel. La fumée l’intoxiquait. La porte se referma en même temps que le pendule dans le salon émit un dernier gong, sonnant la dernière heure. Il l’embrassa avec passion, à lui écorcher la mâchoire, tandis que la dague pénétra dans son abdomen. Les yeux écarlates d’Agathe s’extirpèrent, acides. Dans sa folie, il explora son corps de par son arme et sa langue, heureux.

La nuit tombait pour l’éternité.

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– Gandhi.

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