Ils se déplacent par millions : pourquoi le Soudan se vide de sa population ?

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Au Soudan, les obstacles sont de taille entre les civils et les aides humanitaires. 700 civils déplacés expulsés de leur abri jeudi dernier. 20 civils tués par une chute d’obus près de Khartoum au début du mois. Aussi dramatiques soient-ils, ces évènements restent pourtant des cas isolés au cœur d’un champ de bataille qui dure depuis mi-avril dans le pays.

La guerre menée par deux généraux rivaux soudanais s’est déclenchée le 15 avril, tuant 9 000 personnes selon une ONG. À ce jour, on estime le nombre de personnes déplacées à 6 millions. Dans un climat d’instabilité politique intense, la population encore sur place vit dans des conditions extrêmes. C’est désormais une crise humanitaire qui frappe le Soudan, dans un contexte où les aides humanitaires, sursollicitées, peinent à financer de nouvelles infrastructures.

Les causes multiples des déplacements des civils

En plus de la guerre, plusieurs phénomènes peuvent expliquer les déplacements de la population soudanaise. Le dérèglement climatique est un facteur non négligeable. Tout comme le Soudan du Sud, le Soudan est touché par des inondations et des sécheresses. Ces précipitations imprévisibles obligent parfois les gens à fuir. Des pluies historiques ont été enregistrées sur le territoire, causant la perte de bon nombre de terres agricoles. La perte de terres et d’agriculteurs est en partie la cause de l’insécurité alimentaire aiguë, qui menace à ce jour la vie de 20 millions de personnes dans le pays, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Ce chiffre correspondait en août 2023 à 42% de la population.

En septembre 2023, le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ont de nouveau alerté sur « la dégradation de la situation sanitaire causée par la crise au Soudan. » De nombreuses maladies sévissent dans le pays. « Les attaques répétées contre les établissements de santé ne permettent pas d’assurer convenablement les services de soins aux patients », écrivait TV5Monde.

Il n’y a pas si longtemps, il aurait été difficile d’imaginer que la situation serait aussi désastreuse. « Même le Sud Soudan qui est encore plus en crise reçoit des soudanais, alors qu’il y a peu la situation était inversée », déplore Elisa, anciennement manageuse en logistique de la base de Djouba, capitale du Soudan du Sud. « Comme dans certains autres pays », continue-t-elle, « en général, les gros problèmes viennent de la captation des richesses. À cause de l’instabilité politique, les dirigeants savent qu’ils ne vont pas rester longtemps… »

Les financements ne suivent pas les demandes d’aides

Convaincre les gouvernements serait sans doute la mission la plus difficile pour les Médecins Sans Frontières (MSF). Seule organisation indépendante capable d’intervenir rapidement, les MSF peuvent cependant se retrouver bien démunis face aux instabilités politiques. « L’idée est d’investir dans des infrastructures comme des assainissements en eau, et de former les gens pour qu’elle puisse durer dans le temps », explique Elisa. Mais le relais est trop instable pour des investissements durables. Les bailleurs de fonds sont plus rares parce qu’il n’y a pas de retour sur investissement. « Je restais dans l’infrastructure car je suis de neutralité politique. Si on met un personnel national, il risque d’être sous la pression pour les recrutements. » Résultat ? « On ne peut plus tenir les standards comme avant », raconte l’ancienne manageuse en logistique, « c’est comme un retour en arrière : garantir les 7 litres d’eau minimum par jour et par personne est devenu impossible. »

Pendant que l’état des lieux annuel des besoins humanitaires augmentent chaque année de façon drastique, les civils soudanais ressentent au quotidien de la souffrance et de la frustration. « Nous n’avons pas été en mesure de fournir le niveau d’assistance nécessaire pour répondre à des besoins massifs », avoue Patrick Youssef, directeur régional pour l’Afrique au Comité international de la Croix-Rouge, « de nombreux habitants sont en colère et se sentent abandonnés », ajoute-t-il. Selon le comité international, les opérations humanitaires et administratives sont « une obligation en vertu du droit international humanitaire ». Droit que certaines personnes de la MSF jugent en partie violé.

Ne pas cibler les civils : un respect qui tend à disparaître

« Le principal objectif du droit international humanitaire […] est de préserver un peu d’humanité dans les conflits armés, en sauvant des vies et en atténuant les souffrances », explique le Comité international de la Croix-Rouge. Ce principe n’est malheureusement plus respecté de nos jours. « Avant il restait un certain respect dans les conflits armés », confie Elisa. Aujourd’hui, ce respect tend à disparaître parce que de plus en plus de groupes armés ciblent les civils, ou du moins n’y prêtent aucune attention. Toutes les crises humanitaires ne font pas la Une des journaux. L’Angora, le Malawi, le Tchad, le Burundi… « Avec l’échec des exportations de céréales et la hausse des prix mondiaux », écrit le CARE dans son rapport annuel de 2022 mettant en lumière 10 crises humanitaires trop peu médiatisées, « les populations du monde entier ont subi les conséquences du conflit [en Ukraine]. »

Pour l’heure, il est impossible de quantifier le nombre de morts depuis le déclenchement de la guerre le 15 avril au Soudan.

« Chacun a raison de son propre point de vue, mais il n’est pas impossible que tout le monde ait tort. »
– Gandhi.

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